Dans un récent article publié par nos soins, nous abordions l’aspect multisensoriel de la lecture sur papier, ainsi que la façon dont l’expérience sensorielle que constitue le fait de toucher du papier pouvait améliorer notre capacité à nous souvenir d’un message. De récentes recherches menées dans le domaine des neurosciences ont, à cet égard, montré que la communication sur papier était, en outre, plus à même de susciter une réaction émotionnelle que la communication numérique. Chez le consommateur, ce type de communication est également plus susceptible de renforcer l’attrait et l’impression de valeur de la qualité qui lui est présentée.
Dans un récent article publié par nos soins, nous abordions l’aspect multisensoriel de la lecture sur papier, ainsi que la façon dont l’expérience sensorielle que constitue le fait de toucher du papier pouvait améliorer notre capacité à nous souvenir d’un message. De récentes recherches menées dans le domaine des neurosciences ont, à cet égard, montré que la communication sur papier était, en outre, plus à même de susciter une réaction émotionnelle que la communication numérique. Chez le consommateur, ce type de communication est également plus susceptible de renforcer l’attrait et l’impression de valeur de la qualité qui lui est présentée.
Cela fait d’ailleurs bien longtemps que les marques de luxe semblent avoir compris ce mécanisme de manière intuitive, avant même que des recherches n’y soient consacrées et qu’elles n’en révèlent certains effets marquants : en moyenne, en effet, lorsque ces marques envoient des invitations et des communications personnalisées à des clients sélectionnés, près de 93 % de leurs mailings papier sont ouverts, contre 20 %, seulement, pour leur homologues numériques. De récents exemples montrent que les sociétés innovantes et les start-ups ont, quant à elles, redécouvert le véritable pouvoir de la communication personnalisée sur papier.
À l’ère du trop-plein numérique et de l’uniformité du style, la calligraphie pourrait bien constituer le summum de la personnalisation et de la communication ciblée. Calligraphe professionnel implanté à Paris, Édouard Dupont, explique comment « les marques ont parfois, dans le monde numérique, besoin de faire la différence en misant sur une communication papier personnalisée ».
Nous avons demandé à Édouard Dupont de nous en dire davantage sur le processus de création qui est le sien. « En calligraphie, chaque projet est unique et véritablement conçu sur mesure. Si les mots visent à transmettre un message, la calligraphie entend, elle, renforcer la portée de ce message en lui conférant une couche d’émotion. »
Le choix du papier constitue probablement l’un des éléments essentiels de la conception, poursuit le calligraphe en précisant son propos : « Lorsqu’il s’agit de concevoir un support de communication imprimé en édition limitée, je fonde alors le choix du papier sur la base de différents critères. La matière, la texture et la couleur sont en effet le reflet de tout un univers que viennent parfaire et révéler les techniques d’apprêt et d’impression. Il appartient ensuite à la calligraphie de sublimer ce support par le style et l’esprit qu’elle saura lui insuffler.
© Edouard Dupont, Pleins et déliés
Lorsqu’il s’agit de travailler sur une identité visuelle, j’apprécie de marier les techniques du pinceau et de la plume. Ces deux pratiques nécessitent cependant des supports présentant des caractéristiques techniques opposées. Si les papiers japonais comme le washi, par exemple, sont particulièrement intéressants pour le lavis, ils sont néanmoins très fibreux, et l’encre s’y diffuse lorsqu’on utilise une plume de calligraphie latine, qui, elle, préfère les papiers plus fermés tels que le vélin. Pour pouvoir associer les techniques du lavis et de la plume, j’utilise donc des papiers qui contiennent suffisamment de colle. Conçu à base d’amidon de pomme de terre, le papier Curious Matter permet, à cet égard, d’obtenir des effets particulièrement intéressants ».
Évoquant les styles qui marquent et façonnent actuellement la calligraphie, Édouard Dupont souligne qu’il s’agit ici d’une rencontre et d’un mélange de ce que peuvent être les visions occidentales et orientales de l’art de l’écriture. Dans la tradition occidentale, l’écriture est statique et orientée vers le résultat, tout comme peut l’être le travail d’un orfèvre appliqué à la minutie de ses ornements. Dans la tradition orientale, en revanche, la calligraphie semble tout entière centrée sur la gestuelle, le mouvement ; sa touche est également plus personnifiée et elle vise à donner à l’œuvre le souffle de la vie.
Comme l’explique Adrien Bossard, administrateur du Musée des Arts Asiatiques de Nice, « la calligraphie chinoise intègre et exprime des mouvements très imprégnés de taoïsme. Elle constitue probablement l’art le plus important qui soit en Chine. Lorsqu’il tient son pinceau, le savant mobilise alors une forme de souffle créatif qui lui permettra de combler le vide ; il mobilise ses énergies et les outils qu’il a à sa disposition pour recréer un monde ».
Pour bien comprendre toute la différence que cela implique vis-à-vis de l’approche occidentale de la calligraphie, il est important de saisir la dimension oraculaire dans laquelle s’inscrit la calligraphie chinoise. Cette dernière est née à la surface des carapaces de tortues qui étaient utilisées dans l’art de la divination pyromantique. Cette pratique consistait à jeter dans le feux des carapaces de tortues ou des omoplates de certains animaux pour y déchiffrer ensuite les fissures et fêlures qui s’y étaient formées afin de deviner de quoi l’avenir serait fait. Ces lignes ont progressivement pris la forme d’un système complet qui a perduré pendant des millénaires, et elles ont donné lieu à une gestuelle d’écriture particulière qui est toujours imprégnée d’un certain sens.
Dans la société chinoise contemporaine, la calligraphie occupe toujours une place importante, et fait ainsi partie des programmes d’enseignement à un stade très précoce. Le fait de savoir utiliser un pinceau est toujours considéré comme une forme d’art, et certains des gestes exécutés par le calligraphe sont très proches de ceux que l’on peut observer dans la pratique du tai chi. La pratique moderne de la peinture à l’eau constitue, sur ce point, une expression particulièrement forte de cette attention prêtée à la gestuelle.
On peut ainsi voir, dans les parcs chinois, des gens qui écrivent sur de la pierre avec de l’eau qui s’évapore ensuite pour ne plus y laisser que le seul mouvement de l’écriture. Ce faisant, la calligraphie artistique revêt tous les atours d’un art de la performance.
La calligraphie chinoise constituant avant toute chose une gestuelle riche d’une histoire millénaire et imprégnée d’une relation philosophique et artistique tissée avec certains concepts tels que le vide, la vie et la nature, des artistes comme Fabienne Verdier sont parvenus à déconnecter cette gestuelle de la culture chinoise pour l’appliquer à d’autres sujets.
À l’Institut des Beaux-Arts du Sichuan, Fabienne Verdier a pu, pendant près de dix ans, étudier la peinture, l’esthétique et la philosophie auprès de quelques-uns des derniers grands maîtres de la peinture chinoise. Première personne non chinoise à décrocher un diplôme supérieur délivré par cette université, elle a ensuite démarré sa carrière en y entretenant un lien fort avec la calligraphie chinoise. Forte de cet enseignement, elle a également exploré les expressionnistes américains, les primitifs flamands et la théorie de la musique à la Juilliard Academy of Music.
Son travail se fonde sur le mouvement, et le concept chinois de la vacuité occupe une place centrale dans son œuvre. Comme elle l’explique elle-même : « La principale préoccupation qui m’anime lorsque je commence une œuvre réside dans l’évocation de la vacuité. Au commencement était la vacuité... Je prends un temps absolu pour l’inventer, parce que cela me semble essentiel ».
Bien qu’elle ait inspiré de nombreux artistes modernes, cette capacité qu’a la calligraphie chinoise à devenir de l’art abstrait n’est pas totalement nouvelle. Adrien Bossard explique ainsi comment, sous la dynastie Tang (618-907), les calligraphes inventèrent le style cursif « sauvage » ou « fou », « dans lequel les lignes se fondent les unes dans les autres et dans lequel on ressent l’écriture plus qu’on ne la voit. L’écriture devient ici un motif artistique qui suit la gestuelle. Pour pouvoir atteindre ce niveau, il est essentiel de maîtriser tous les autres styles. Et d’effacer tout apprentissage des styles de calligraphie ».
Cette tentative d’effacement, Édouard Dupont tente lui aussi de l’appliquer dans son atelier parisien. Quand il évoque son travail, c’est ainsi de flux et de méditation qu’il parle, de cet état de concentration qui lui permettra de trouver le geste juste. Un geste juste qui laissera alors une trace mémorable sur le papier.
Faisant appel à tous nos sens et vibrant de matérialité, le papier parvient précisément à retenir une partie de ce geste, de cette étincelle de vie et à la transmettre. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles la communication est plus efficace lorsqu’elle mise sur le papier : elle fait alors appel à notre mémoire collective, à cette mémoire dans laquelle se sont succédées des générations d’êtres humains enregistrant la vie en déposant de l’encre sur du papier.